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Le Jeu des petites gens en 64 contes sots par Louis Delattre : Les vaches

Un jour, par la négligence du vacher du bourg, le troupeau des vaches entra dans une pièce de blé déjà tout levé, et trouvant l’herbe tendre, elles en firent un beau dégât.

L’homme du blé fut averti.

Il accourut fort en colère, son courbet à la main, et à toutes les voleuses qu’il atteignit, coupa la queue au ras du dos.

Les bonnes femmes du village, apprenant le malheur de leurs bêtes, vinrent au champ et les trouvèrent galopant et sautelant de douleurs, sans queue, de-ci de-là.

A force de : - Hé, Margot! Oh la Blanche! Ici, Noirette! , à force de : - Teu! Teu!  elles parvinrent enfin à rassurer les effarouchées.

Les pauvres vaches reconnaissant les maîtresses qui les trayaient, se laissèrent prendre et lier.

Alors, les commères, en dépit du laboureur qui voulait les en empêcher ; et tout menaçant de lui arracher sa barbe, sa moustache, ses oreilles et tout, coururent dans le blé à la recherche des queues tombées.

Une d’elles avait longtemps, à la ville, servi comme rétrécisseuse de maljoints.

Elle venait de se retirer au village, son métier ne valant plus rien, parce que trop de gens s’en mêlaient.

Il lui passa merveilleusement l’idée de recoudre les bouts tranchés aux moignons.

Bientôt toutes les femmes firent comme elle, bien à la chaude, avec de bon gros fil double, le plus proprement qu’elles purent.

Or, en peu de temps, les queues reprirent, et si parfaitement, qu’il n’y paraissait ni coupure, ni coûture.

Pas plus qu’après un coup de couteau dans l’eau, on n’y voit rien.

Peut-être chaque vache n’a-t-elle plus exactement, au derrière, la queue qu’elle tenait de sa mère ?

Mais elle n’en sait mie et continue à s’en aider contre les mouches, aussi bien et mieux que jamais.

D’une femme bonne et ménagère, le mari aille premier en terre.