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Le Jeu des petites gens en 64 contes sots par Louis Delattre : Les cracheurs

Le mois de novembre dernier, trois bons compagnons étaient réunis au cabaret, buvant auprès d’un feu de bois clair et joli.

 Ils avaient le catarrhe et ne cessaient de cracher à terre de longs flegmes de pituite.

Après maintes et maintes chopes vidées, voici venir le cabaretier. Il s’approche et leur demande s’il ne peut rien pour leur faire plaisir ; quand, les voyant si abondamment saliver, il leur dit en riant :

- Corbleu, vous allez éteindre le feu !

- Eh ! ce ne serait pas le premier, répondit l’un des buveurs. Nous en avons jadis refroidi de fichtre mieux allumés que
celui-ci.

- Vraiment ? dit l’hôte. N’est tout de même pas damné, qui ne vous croit, n’est-ce pas ?

- Quoi, vous ne nous croyez point ? réplique un buveur.

- Ma foi, non, et pas du tout.

- Eh bien, voulez-vous parier l’écot que nous éteindrons de la sorte, devant vous, et tout noir, votre feu que voilà ?

- Par saint Chenet, je tiens le pari, répond le cabaretier. Car je suis sûr de gagner.

- Et nous aussi !

Et les voilà tous trois, devant l’hôte, qui se mettent à cracher sur les bûches, si copieux, si dru, si souvent qu’ils eurent bientôt étouffé le feu, noir comme fer, encore qu’il y flambât trois fagots et huit grosses bûches d’estoc.

Le cabaretier fut bien fâché d’avoir perdu, et de voir les buveurs s’en aller sans payer.

Ils n’avaient pas, en feu, pain, bière triple, viande et moutarde, tout compté, déduit et rabattu, détruit pour moins de cent quarante-quatre mastoques. Il est vrai de dire qu’ils en donnèrent, en partant, trois à la servante.

Ainsi la bouche envenimée éteint la bonne renommée.