Le Jeu des petites gens en 64 contes sots par Louis Delattre : Le savetier
Un savetier nommé Huguet, allant quelque jour au village de Landelies pour y ressemeler et rapetasser les vieux souliers des simples gens, entrait dans le bois par le chemin de la Hutte, quand tout à coup il aperçut un grand diable de lièvre roux au museau tout blanc, qui venait droit à lui sans le voir, et tout à coup s’arrêta net.
Or, le savetier n’avait sur lui ni pierre ni bâton.
Cherchant quelque chose à jeter à la bête, il met sa main dans son sac, en tire un bon morceau de poix noire qui lui servait à frotter le chanvre de son ligneul, le lance et atteint juste entre les deux yeux mon lièvre, qui fait demi-tour sur lui-même et s’enfuit d’où il venait, portant la boule collée à son front, aussi vite qu’avec une meute à ses trousses.
Un autre lièvre le suivait, il va donner la tête dessus et l’aheurte si violemment que les voilà à deux pris à la poix et attachés poils à poils. Et de tirer, mais en vain, l’un sur l’autre.
Le savetier, les voyant dans cette position, court à eux légèrement ; sans rire les saisit, les étourdit d’un coup de poing, les met dans son bissac avec ses formes, son cuir, ses alènes et ses pinces, tourne bride, et s’en va faire bombance à sa maison.
Un pauvre diable malheureux, à voir son semblable est désireux.