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Le Jeu des petites gens en 64 contes sots par Louis Delattre : Le genou serré

Le tramway, au galop de ses deux chevaux, a gravi la côte qui précède le square.

Sur les banquettes, au-dessus de la masse bariolée des bustes : drap sombre des hommes, gaze et fanfreluches des dames, rit la ligne claire des visages en peau rose de Bruxelles.

 

Les femmes ont les ailes du nez qui battent à cause du vacarme excitant du fouet, et des fers des chevaux mordant la pierre.

Lise saute à terre.

Elle a mis aujourd’hui sa première robe longue, et se cheveux sont encore en nattes sur son dos.

Chevilles et poignets, épaules et hanches, comme les joints de ce corps nerveux sont bien huilés !

Que ces ressorts sont vigoureusement tendus !

Elle saisit le bras de sa mère et cependant bondit devant, ainsi que pour faire le tour au pas de géants du gymnase.

De sorte que tout en courant à ses côtés, elle lui parle en face.

- Mère, dis, as-tu vu, comme il était bien ?

- Quoi, quoi ?... Qui, bien ?

- Le jeune homme qui était dans le tram, assis à ma droite ?

- Un jeune homme ! Mais veux-tu te taire, malheureuse ?...

- Et qu’il me serrait le genou !

- Il... Il... Que dis-tu, il te serrait le genou ?...

- Tu ne peux te figurer avec quelle force, mère !

- Assis à côté de toi, il te serrait le genou ?
  Mais tu inventes ces horreurs, n’est-ce pas ? O l’effrontée !
  Tu inventes, n’est-ce pas ?...
  Comment aurait-il pu te serrer le genou, naïve que tu es ?

- Voyons, mère ! Parlons sérieusement... Me prends-tu pour une gosse ?
  Voyons, dis-le ?... Et crois-tu que je le laissais comme çà, bêtement me   pousser ?
  Mais je lui résistais de toutes mes forces !...
  Je poussais de toute ma jambe !...
  Et comme il y allait, petite mère !

Qui premier prend ne se repend.