Le Jeu des petites gens en 64 contes sots par Louis Delattre :Le coq
MA tante Babette-Zoé d’Habay-la-Neuve, qui attendait sa belle-fille à dîner, le dimanche de la Trinité, se décida à tuer son vieux coq pour le bouillon.
Elle mit du petit blé en une forme à pain, monta sur le fumier dans la cour et cria :
- Tou-tou-tou-tou...
Les poules s’approchèrent, le coq suivit digne et fier de sa barbe rouge, et tante Babette s’en saisit.
Ensuite, elle fut prendre, dans le tiroir de la table, son plus menu couteau à peler les pommes de terre ; l’aiguisa au passage sur une marche des montées ; et tenant le coq serré entre ses genoux, elle cherchait le bon endroit où lui couper la gorge.
Mais le coeur lui manqua.
Elle rejeta la bestiole qui s’enfuit tout criant, aussi hagard et farouche, à présent qu’il était lâché, qu’interdit et penaud l’instant auparavant.
Et il courait deci delà, le cou penché en avant.
Mais tante Babette reprit courage.
Et peu après, ayant mis ses lunettes, en marchant sur ses bas, elle s’approcha du coq par derrière, son sabot à la main, lui en asséna un grand coup sur la tête et l’oiseau tomba assommé.
Elle fut quérir, dans la gueule du four, la mannette où elle séchait sa provision de plume.
Puis, pour ne pas salir la chambre fraîchement curée et le carreau passé au rouge, elle s’installa dans l’allée et se mit à la besogne.
Elle pelait le duvet du ventre ; elle mouillait son pouce de salive pour les plumes du dos ; elle tirait à deux mains pour avoir les pennes des ailes.
En travaillant, elle était, tour à tour, triste que son vieux coq fût tué, et satisfaite qu’il fût si beau, si bien en chair, avec la cuisse où il juchait grosse, sans mentir, comme un poing d’enfant.
Souvent elle s’arrêtait pour le soupeser, l’estimant à quatre livres, une fois ; et à cinq, la fois d’après.
Elle se disait aussi, avec plaisir, qu’il en resterait, après le dîner, pour sûr de quoi manger froid à souper.
Le soir tomba et tante Babette, en été, n’allume pas sa lampe.
Elle déposa donc le coq plumé sur la planche du dressoir, se proposant d’en achever la toilette demain, avant Messe.
Elle secoua les folles plumes de ses vêtements, gratta les petits poux de volailles qui couraient dans ses rides, réchauffa une jatte de café, soupa, et monta se coucher.
Or, au matin, avec le jour, tante Babette se leva, fit son lit et, son pot à la main, descendit.
Pour allumer son feu, elle jetait dans l’âtre quelque menu bois, quand elle poussa un cri perçant.
Couchée sur une corbeille à pain, serrée sur elle-même, se tenait une petite bête extraordinaire à peau jaune et bleue, sans plumes ni poils, avec de gros os saillants, des bras en moignons, des griffes écailleuses, un derrière pointu et un long cou fripé.
Alors tante Babette aperçut aussi un bonnet rouge-vif et flottant et de petits yeux dorés qu’elle avait déjà vus ; et elle joignit ses mains.
C’était son vieux coq mal assommé et tout plumé qui, vivant encore, avait sauté, la nuit, du dressoir ici et se chauffait.
Elle n’eut pas seulement l’idée de l’empêcher de nouveau de vivre. Tante Babette n’avait voulu que manger son coq et non lui faire du mal.
Et à présent, il était si peineux que ce fut en pleurant qu’elle l’enveloppa d’un fichu, le lui nouant autour du ventre avec le noeud sur le croupion.
Elle lui fournit du grain en abondance et de l’eau.
Elle le soigna au coin du feu comme un malade et ne le laissa voir à personne, pas même aux poules, en cette minable guise. Et lui, durant l’été, il se rempluma de léger duvet.
Il put sortir. Sans sa queue, content de vivre, il continua de chanter de son mieux.
Mais le dimanche de la Trinité de cette année-là, tante Babette-Zoé n’offrit à sa bru que du bouillon de boeuf.
Tel est vif, qu’on croyait mort.