Le Jeu des petites gens en 64 contes sots par Louis Delattre : La chandelle
IL y avait un vieux, vieux homme qui demeurait au Tienne d’Amont.
Il n’avait quasiment plus de dents, le Jean Matet ; ses joues rentraient dans le creux de ses mâchoires, et voilà qu’il se marie avec la vieille, vieille Marjosèphe, qui ne pouvait mie manger que bouillie de farine depuis des ans.
Le soir, ha ! ha ! ils vont se coucher. La vieille au lit, le vieux veut éteindre la chandelle. Il souffle : Huf !
Mais la chandelle ne s’éteint point. La flamme file, oscille, pétille, puis se remet droite comme s’il n’y avait rien eu.
Huf ! Huf ! fait de nouveau Jean Matet, les bajoues gonflées, les yeux ronds, les poings serrés.
Huf ! qu’il pousse.
Il a beau pousser. La chandelle n’en défaut pas plus.
- Bin, bin, en voilà une ! » s’écrie-t-il, suffoqué.
Marjosèphe, oh ! Marjosèphe, levez-vous, oh ! bin, en voilà une ! Je n’arrive point à souffler la chandelle.
La commère descend du lit. Elle est grosse un peu moins que deux poings, les reins cassés, les gros orteils tirés en l’air par les tendons.
- Frrtt ! dit-elle doucement à l’oreille de la chandelle.
Point, rien, foin ! La flamme penche, danse, balance et se remet claire, sans manquer sur sa mèche.
- Oh ! Diantre ! dit Marjosèphe.
Et elle recommence de son plus fort : Frrtt ! Frrtt !
Tellement que sa tête en demeure longtemps secouée.
Autant de perdu... Alors les deux vieux s’y mettent ensemble. L’un d’un côté, l’autre de l’autre.
- Huf ! - Frrtt ! - Huf ! - Frrtt !... Huf !
La flamme brûle toujours. Roupies au bout d’un nez, les gouttes de cire coulent au creux du chandelier.
- Oh bien, dit le Jean Matet, il nous faut aller quérir la mère à la chambre d’en bas. Il n’y a qu’elle pour en venir à bout.
Il descend et remonte avec la vieille, vieille maman aux yeux clairs, aux paupières rouges, moustaches raides et verrues poilues, et sa crossette à la main.
Par la bouche aux lèvres rentrées, il lui sort, à petits coups vifs et répétés, un bout de langue pointue, fin comme une pièce de monnaie qui giclerait de la fente d’une tirelire.
- Heu, heu, dit-elle en chevrotant. A où ?... Quelle chandelle ?... Que voulez-vous ? Ah !... Frr, frr, frou ! dit-elle à la flamme d’un tout menu souffle de plus de cent ans. La chandelle ne s’éteint pas.
- Fr, fr, frou ! reprend-elle en vain. Grand Saint-Colin ! Faut voir à Monsieur le curé. Elle est ensorcelée, c’est certain.
Jean Matet s’habille et court à la cure. A la porte, il frappe du poing :
« Buch ! Buch ! » dit-il.
La nuit est noire autour de lui. L’heure sonne au clocher. Il attend, il attend. Rien n’a bougé dans la maison. Enfin il se décide à frapper de nouveau.
- Buch ! Buch ! » dit-il, mais non plus aussi fort.
Rien encore. La porte ne tressaille pas d’un fétu.
L’homme s’assied sur le seuil et il attend.
Voilà la piquerette du jour, puis le matin. La servante du curé est levée.
Elle ouvre l’huis pour voir le temps qu’il fait, et trouve le vieux assis sur la montée.
- Eh bien, Jean Matet, que faites-vous là, de si bonne heure, donc, Jean Matet ?
- C’est rapport à la chandelle, je vas vous dire ! La chandelle de notre maison que nous ne pouvons éteindre !
Nous soufflons pourtant dessus depuis hier au soir, et moi, et ma femme et notre mamme.
M’est d’avis qu’il y a sur elle un sort de jeté. Et j’étais venu appeler monsieur le curé pour voir à la souffler.
- Vous n’avez donc point frappé à la porte ?
- Si fait, dà, j’ai frappé.
- Et pourquoi ne bûchiez-vous plus dru, eh ! Jean Matet, puisque je ne venais vous ouvrir ?
- J’avais peur de vous réveiller, oh ! »
Hardiment heurte à la porte, qui bonne nouvelle apporte.