Le Jeu des petites gens en 64 contes sots par Louis Delattre : La barbe brûlée
Un homme qui rongeait, un jour, un gros os de veau, de bon appétit, se le poussa si avant entre les dents qu’il en demeura bâillonné, c’est-à-dire avec la bouche grande ouverte et sans pouvoir la refermer.
Il alla au rebouteux et, par signes, lui demanda d’apporter remède à son mal.
Le guérisseur n’avait pu s’empêcher de rire en le voyant, mais il l’assura pourtant de le soulager bientôt, le visita et reconnut son mal.
Il lui frotta longuement la jointure des mâchoires avec de l’eau chaude ; et cela fait, levant la main, il lui appliqua, sous l’oreille, un formidable coup de poing.
La bouche se referma d’un trait.
Mais notre homme avait, sur le devant, quatre longues dents jaunes qui vinrent à se rencontrer si violemment que des étincelles jaillirent, ni plus ni moins que si l’on avait battu le briquet ; tombèrent dans sa barbe qu’il avait très longue et fournie ; l’enflammèrent comme une poignée d’herbes sèches et la brûlèrent tout net, avant qu’on eût eu le temps d’y porter remède.
Le pauvre homme s’en retourna à sa maison, la bouche fermée, mais la barbe rase, et penaud comme un fondeur de cloches.
Pour vivre heureux et sans reproche, mesure ta bouche et ta poche.