Le Jeu des petites gens en 64 contes sots par Louis Delattre : L'écolier de Vilvorde
IL y avait un joli petit écolier de Vilvorde, fin comme une fillette, aux traits doux, et bien sage. Il s’en venait, par le chemin de fer, tous les matins, à l’école Saint-Louis, et s’en retournait à la brune.
Dans sa poche, recouvert d’un étui de soie, il tenait son abonnement de première classe.
Rien qu’au modèle de son col à dentelles tombant sur ses épaules, et bien plus sûrement encore à la vue de sa lavallière bleue à pois blancs, on savait que sa maison, dans la petite ville, était précédée d’une grille à grosse sonnette et d’un parterre de géraniums rouges rehaussé d’une boule de verre argenté ; et aussi que sa soeur écrivait pour lui ses devoirs les plus difficiles.
Et voilà.
Et il monte aujourd’hui encore dans le train ; il s’assied bien doucement dans un coin du compartiment occupé, à l’autre bout, par un herculéen roux et rose Anglais, un de ceux-là pour qui l’univers entier n’est qu’une selle pour leur séant.
Or, l’Anglais, une loupe à la main, suit le texte menu et serré d’un journal de son terroir, où il semble qu’on ait économisé jusque la place du titre, pour mettre plus de nouvelles.
Mais il n’en passe rien, ne lève pas les yeux ; le train se met en marche sans qu’il ait paru s’apercevoir de la présence du garçonnet.
Et le petit écolier de Vilvorde, si bien élevé, si joliment habillé, bientôt n’est plus ici qu’un menu moucheron, une bestiole voltigeant dans un rai de soleil.
Il y a longtemps qu’il a laissé tomber les deux ou trois menues pensées qui trottinaient dans son cerveau.
Les raies vertes des champs, les plaques blanches des murs passent, aux portières, comme des rubans où son esprit ne peut plus fixer d’images précises. Il s’endort.
Mais par une fente fine tout au plus comme un cheveu, et à laquelle l’écolier ne pensait pas, voilà qu’il sort un bruit mince, qui d’abord hésite, puis s’élève, s’étire et s’ouvre dans l’air comme une bulle qui crève.
Oh !... Il s’éveille, bondissant ainsi qu’on sort d’un rêve terrible. Anxieux, rouge de honte, il fixe, sur le voyageur au fond de la voiture, des yeux qui implorent l’autorisation de se cacher sous les banquettes.
Mais non, l’Anglais, c’est certain, n’a rien entendu. Son journal, dans ses mains, n’a pas bronché. L’enfant se rassure.
Son âme se retasse comme la poussière sur la route quand le vent a passé. Mais le vent...
Et sans que l’on pût assurer que l’écolier ait fait un mouvement, il a atteint le cuir d’une portière. Sans un geste qu’on pût distinguer, il a descendu le carreau...
Joie ! L’air pur et frais du dehors lui saute au visage, comme l’eau d’une pomme d’arrosoir.
L’écolier joli de Vilvorde, en ce moment, c’est un moineau, le bec levé, qui se gargarise à sa fontaine, s’épouille, et bat des ailes dans le sable.
Aussi délicieusement que sous les frictions d’un crayon anti-migraine, il sent ses joues se refroidir...
Une minute bienheureuse et déjà c’est l’innocence ; le méfait qui l’éveilla est oublié...
Mais une voix mugit à ses oreilles. Une main énorme, poilue et tavelée, s’abat sur son épaule, l’assied, l’écrase tout d’un côté, l’enfonce dans les coussins. Deux mots :
- Sentir avec !...
Et l’Anglais, armé de sa loupe, d’un oeil unique a déjà repris son papier au texte épais et grenu comme une bouillie de semoule.
A vilain, chardonnée d’âne.