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Georges Sand : Les aile de courage partie 4

Il se mit à cherchée de l’eau à boire. L’eau ne manquait pas, il en sortait de tous les côtés. Il remarqua que plus il montait, plus elle était douce ; cependant elle avait un goût terreux qui n’était point agréable. 

Enfin il découvrit un petit filet qui sortait de l’endroit rocheux et qui sentait le thym sauvage ; mais cette bonne eau tombait goutte à goutte, comme si elle eût voulu se faire prier, et il eût fallu un vase pour la recueillir. 

Il avisa en plusieurs endroits de grandes huîtres de pierres qui étaient engagées dans les marnes ; elles étaient presque toutes cassées ; la mer avait monté jusque-là autrefois, et les avait roulées. 

En cherchant mieux, il en trouva plusieurs très-larges et entières. 

Il les adapta bien adroitement les unes au-dessus des autres dans le passage du filet d’eau, de manière qu’elles pussent se remplir toutes et lui fournir une provision toujours prête et toujours renouvelée. 

Il attendit et en emporta une bien pleine pour déjeuner dans son jardin. Il n’avait que du pain sec, mais il n’était pas habitué aux confitures et savait fort bien s’en passer.

Il ne trouva pas la journée longue. 

Il faisait un temps charmant, et il s’amusa à regarder les plantes qui poussaient dans son gazon et qui ne ressemblaient pas à celles des herbages de la plaine. 

Il y en avait de désagréables, tout hérissées d’épines et de dards, mais il leur pardonna ; c’était comme des gardiens chargés de le défendre contre les visites fâcheuses. 

Il y en avait d’autres très-jolies qui lui plurent beaucoup et sur lesquelles il eut soin de ne pas marcher ni s’asseoir, car elles égayaient les alentours de son refuge et il se serait reproché de les abîmer. 

Ce jour-là, par le trou pratiqué dans le vieux pan de mur au flanc de la falaise et qu’il appela sa fenêtre, il se rassasia de regarder la mer. 

Il la trouva plus belle qu’il ne l’avait encore vue. 

Il contempla au loin des embarcations de différentes grandeurs ; aucune n’approchait des Vaches Noires, l’endroit était réputé dangereux. Aujourd’hui on y va de tous côtés recueillir des moules. 

Dans ce temps-là, la côte était déserte, on n’y voyait pas une âme. 

Cette grande solitude l’enhardit. Vers le soir, il alla ramasser des coquillages sur la grève pour son souper et il regarda bien si du dehors on pouvait voir sa fenêtre. 

Cela était impossible ; elle était trop haute, trop petite, le mur était trop bien caché par la végétation. Il ne put la retrouver avec ses yeux. 

Cette nuit-là, il dormit bien tranquille. Il avait tant marché, tant grimpé pour connaître tous les recoins du désert qu’il n’eut aucun besoin d’être bercé. Si les lutins s’amusèrent à crier et à parler comme la veille, il ne les entendit pas.

Le troisième jour fut employé à explorer le bas de la dune, afin d’avoir là une bonne cachette en cas de surprise sur la plage. 

Il en trouva dix pour une, et, tout étant ainsi arrangé et prévu, il se sentit aussi libre qu’un petit animal sauvage qui connaît son lieu de promenade et son terrier. 

Il pensa aussi à faire sa provision de coquillages pour avoir de quoi déjeuner ou dîner dans sa grotte, s’il ne lui plaisait pas de redescendre pour chaque repas à la mer. 

Il y avait beaucoup de joncs sur la côte, des genêts, des saules nains, des arbustes flexibles ; il en emporta les rameaux et travailla chez lui (il disait déjà chez moi) à se faire un beau grand panier assez solide. 

Il se fit aussi un lit excellent avec des algues que la mer apportait sur le rivage. Enfin il s’imagina de chasser, et, comme il était adroit à lancer des pierres, il abattit, après l’avoir guettée longtemps, une perdrix de mer qu’il voyait courir et jouer sur la grève. 

C’était un joli oiseau très-gras ; il s’agissait de le faire cuire. Clopinet n’était pas embarrassé pour allumer du feu. 

Il avait dans son paquet une chose que dans ce temps-là on appelait un fusil, et dont tout le monde était muni en voyage. C’était un anneau de fer et un morceau d’amadou. 

Avec un caillou, on avait du feu presque aussi vite qu’à présent. 

Il fit un tas de feuilles et de broussailles sèches, et réussit à cuire son oiseau. Je ne réponds pas que la chair fût bien bonne et ne sentît pas la fumée, mais il la trouva excellente et regretta de ne pouvoir en offrir une aile à sa mère et une cuisse à son frère François. 

La perdrix de mer n’est point du tout une perdrix, c’est plutôt une hirondelle. 

Elle vit de coquillages et non de grain. 

Elle est très-jolie avec son bec et son collier, qui ressemblent un peu en effet à ceux des perdrix. 

Elle est à peu près grosse comme un merle. On voit que Clopinet ne risqua pas d’avoir une indigestion.

Il avait vu, en chassant ce gibier, beaucoup d’autres oiseaux qui l’avaient bien tenté, des guignettes, des pluviers, des alouettes de mer, qui ne sont pas non plus des alouettes, mais qui sont une sorte de petits bécasseaux, des huîtriers ou pies de mer, des harles, des tourne-pierres, des mauves, des plongeons, enfin une quantité de bêtes emplumées qu’il ne connaissait pas, et qui, aux approches du soir, venaient s’ébattre avec des cris bruyants sur le sable. 

Il en remarqua de très-gros qui nageaient au large et qui, au coucher du soleil, s’éloignaient encore plus, comme s’ils eussent eu l’habitude de dormir sur la mer. 

D’autres revenaient à terre et se glissaient dans les fentes de la dune ; d’autres prenaient leur vol, s’élevaient très-haut et semblaient disparaître le matin dans les petits nuages blancs qui flottaient comme des vagues dans le ciel rose. 

Le soir, ils semblaient en redescendre pour souper sur les rochers et dans les sables. 

Clopinet se figura d’abord qu’ils passaient la journée dans le ciel, mais il en vit un très-grand qui était perché sur le plus haut de la dune et qui s’en détacha pour faire un tour dans les airs et descendre à son lieu de pêche. 

Après celui-là, et partant toujours du sommet de la dune, un oiseau pareil fit le même manége, et puis un autre ; Clopinet en compta une vingtaine. 

Il en conclut que ces oiseaux nichaient là-haut et qu’ils étaient nocturnes comme les chouettes.

Clopinet qui de sa lucarne faisait beaucoup d’observations et voyait les oiseaux de très-près sans en être aperçu, apprit une chose qui l’amusa beaucoup. 

Les hirondelles de mer, qui décrivaient de grands cercles autour de lui, laissaient tomber souvent de leur bec quelque chose qui ressemblait à des coquillages ou à de petits poissons, et comme elles se balançaient en même temps sur place en jetant un certain cri, elles avaient l’air de le faire exprès et d’avertir.

Il en suivit de l’œil une en particulier et regarda en bas. 

Alors il vit remuer quelque chose par terre, comme si c’eût été le petit monde qui venait ramasser la nourriture que les mères leur jetaient du haut des airs. 

Quand il retourna à la grève, il put s’assurer qu’il ne s’était pas trompé ; mais quand il voulut s’approcher des petits pour les prendre, car ils ne volaient pas encore, la mère hirondelle jeta un autre cri qui, au lieu de les appeler sur le sable, les fit fuir vers la terre. Clopinet les chercha sous les herbes où ils s’étaient tapis et se tenaient immobiles. 

Il les trouva, et ne voulut point les prendre pour ne ne pas faire de chagrin à leur mère, qui en savait probablement le compte.

Tout en regardant comment les oiseaux s’y prenaient pour pêcher, il apprit à pêcher lui-même. 

Il n’y avait pas que des coquillages sur la rive : il y avait sur les sables, au moment où la marée se retirait, quantité de petits poissons très-jolis et très-appétissants. 

Il ne s’agissait que de se trouver là pour les prendre avant que le flot qui les poussait ne les eût emportés. 

Il vit comme les oiseaux pêcheurs étaient adroits et rusés. 

Il fit comme eux ; mais la marée était brutale, et Clopinet, sans en avoir peur, voyait bien maintenant que les ailes lui manquaient pour sauter par-dessus la vague et qu’il ne suffirait plus de son caprice pour devenir oiseau. 

Il n’avait eu cette faculté que dans les moments de grand danger ou de grand désespoir et il ne souhaitait point trop de s’y retrouver. 

Il aimait mieux s’apprendre à nager lui-même, et comme il se fiait à la mer, en un jour il nagea comme une mouette et sans savoir lui-même comment cela lui venait. 

Il faut croire que l’homme nage naturellement comme tous les animaux, et que c’est la peur seule qui l’en empêche.

Cependant comme les oiseaux nageaient plus longtemps que lui sans se fatiguer et voyaient mieux à travers l’eau de mer, il était loin de prendre autant de poisson qu’eux. 

Il renonça donc à lutter avec ces habiles plongeurs et il observa d’autres oiseaux qui ne plongeaient pas et fouillaient le sable encore mouillé avec leurs longs becs. 

Il fouilla aussi avec une petite pelle qu’il se fabriqua, et il trouva des équilles à discrétion ; l’équille est une petite anguille excellente qui abonde sur cette côte, et il en fit cuire pour son souper. 

S’il avait eu du pain, il se fût trouvé nourri comme un roi ; mais le sien était fini, et il n’osait pas encore se montrer pour en aller acheter à Villers.

Il résolut de s’en passer le plus longtemps qu’il pourrait et se mit en tête de trouver des œufs. 

C’était le temps des nids ; il ne savait pas que la plupart des oiseaux de mer n’en font pas, qu’ils pondent à nu ou presque à nu sur le sable ou dans les rochers. 

Il en trouva donc par hasard là où il n’en cherchait pas, mais ils étaient si petits que cela ne comptait guère ; les gros oiseaux qui devaient donner de gros œufs pondaient probablement tout en haut de la falaise, et il ne semblait pas possible à une personne d’aller jusque-là, car, si du côté du désert elle était de moitié moins haute que de celui de la mer, elle offrait encore par là un escarpement si raide, avec des veines de terre si friables, que le vertige vous prenait rien que de la regarder d’en bas.

Mais chaque jour qui s’écoulait rendait Clopinet moins poltron. 

Il apprenait à devenir prudent, c’est-à-dire brave avec tranquillité, et à raisonner le danger au lieu de le fuir aveuglément. 

Il étudia si bien les contours et les anfractuosités de la grande falaise, qu’il monta presque au faîte sans accident. 

Il fut bien récompensé de sa peine, car il trouva dans un trou quatre beaux œufs verts qu’il mit dans son panier, dont il avait garni le fond avec des algues. 

Il trouva là aussi de belles plumes, et il en ramassa trois qu’il mit à son bonnet. C’était trois plumes longues, minces et fines, blanches comme la neige, et qui paraissaient venir de la tête ou de la queue du même oiseau. 

Comme les œufs étaient tout chauds, il pensa bien alors que les mères venaient pondre ou couver la nuit et qu’il pourrait les surprendre et s’en emparer ; mais il pensa aussi que, pour un oiseau ou deux de pris, il effraierait tous les autres et risquerait de leur faire abandonner ce campement. 

Il préféra y trouver des œufs à discrétion quand il lui plairait d’y revenir et il les laissa tranquilles.

Huit jours s’étaient déjà passés, et Clopinet n’avait vu personne ni sur le rivage ni sur les dunes. 

Il avait été si occupé qu’il n’avait pas eu le temps de s’ennuyer ; mais quand il se fut bien installé et à peu près assuré de sa nourriture, quand les dunes et le rivage n’eurent plus un seul recoin qu’il n’eût exploré et fouillé, il en vint à trouver la journée longue et à ne trop savoir que faire du repos. 

Déjà il connaissait à peu près les habitudes de toutes les bêtes au milieu desquelles il vivait ; il eut souhaité connaître leurs noms, de quels pays elles venaient, raconter les observations qu’il avait faites, causer enfin avec quelqu’un. 

Le temps était très-beau, le pied boueux des dunes séchait au soleil de mai et la plage redevenait un chemin praticable, aux heures de marée basse. Il vit donc apparaître quelques passants, et le cœur lui battit bien fort de l’envie d’aller leur parler, ne fût-ce que pour leur dire : 

« Il fait beau temps, il y a du plaisir à marcher. » 

Il n’osa pas, car, si on venait à lui demander, qui il était et ce qu’il faisait là, que répondrait-il ? 

Il savait qu’on blâme les vagabonds et que parfois on les ramasse pour les mettre en prison. 

Il était trop simple et trop honnête pour se donner un faux nom et inventer une fausse histoire ; il aima mieux ne pas se montrer.

Cependant, un matin le vent d’est lui apporta un son de cloches et lui apprit que c’était dimanche. Par habitude il mit ses meilleurs habits, et puis il attacha les trois plumes blanches à son bonnet, il se chaussa bien proprement, et, bien peigné, bien lavé, il se mit à marcher sans trop savoir où il allait.

Il avait coutume d’aller à la messe le dimanche. C’était jour de rencontre et de causerie avec les jeunes gars de sa paroisse, parents ou amis. 

On jouait aux quilles, on dansait quelquefois. Cette cloche qui sonnait, c’était un appel à la vie commune ; Clopinet ne comprenait pas qu’on pût rester seul le dimanche.

Qui sait s’il ne rencontrerait pas encore son frère François ? 

Il eût risqué beaucoup pour avoir des nouvelles de ses parents, il se risqua donc ; le tailleur devait être bien loin du côté d’Honfleur. 

Il coupa à vol d’oiseau à travers le désert et se trouva bientôt à deux pas au-dessus de Villers. 

Comme il n’y connaissait personne et que personne ne l’y connaissait, il espéra passer inaperçu, voir des figures de chrétiens et entendre le son de la voix humaine sans qu’on fit attention à lui. 

Cela lui était déjà arrivé dans cet endroit, puisqu’il y avait passé deux fois ; mais cette fois-ci il fut très-étonné de voir que tout le monde le regardait et se retournait même pour le suivre des yeux.