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Le beau Philibert

Encore une, voulez-vous, de notre vieille, amie Aldine Gérat en religion cythérenne Géraldine la meilleure fille du monde, et, j’ose ajouter, la plus honnête. Du reste, je vous convie à en juger.

Du temps qu’elle courait, comme le jeune Wilhelm Meister, ses années d’apprentissage, les hasards de sa destinée l’avaient conduite à Bordeaux. 

Peut-être y avait-elle était transbahutée », car telle était sa langue, par quelque viticulteur opulent, soucieux de donner une Aspasie à l’Athènes de la Gironde. 

Toujours est-il que, tout de suite, elle s’amouracha d’un lieutenant de la garnison et qu’elle plaqua son Périclès pour cet Alcibiade. Il avait nom Philibert Torbier.

Il faut croire que ce Philibert Torbier était l’un de ces séducteurs nés dont Lovelace est le type en littérature, comme Lauzun l’est en histoire, car ses aventures galantes n’en laissaient pour ainsi dire rien à glaner aux autres, et il n’était poules qui voulussent d’autre coq dès que celui-là, dardant sa crête, chantait. 

Aussi ne comptait-il plus ses duels, que Vénus, sa mère, lui faisait d’ailleurs, comme dans les poèmes homériques, presque toujours favorables.

Seul, Balzac nous expliquerait par quelle loi de nature un Philibert Torbier doit, logiquement, fatalement, de toute éternité, aimer une Géraldine, mais l’aimer à en mourir et jusqu’à jeter à ses pieds ses armes et son bouclier d’honnête homme.

J’omets de vous dire, et pour cause, qu’elle n’esquissa même pas un geste de résistance. 

Reconnue sienne » au premier coup d’œil, elle fut aussitôt dans ses bras, docile aux dieux, et elle le suivit, sans même prendre congé du vieil oenophile, à son logis d’officier pauvre. 

Ils y vécurent l’un de l’autre, insatiables de cette possession qui paraît être la solution la plus scientifique du casse-tête chinois de la vie.

Comment le beau Philibert trouvait en Géraldine toutes les femmes en une seule, c’est ce que, n’étant pas Balzac, je renonce à analyser. 

Il ressemblait à un explorateur qui, après avoir fait le tour du monde, se borne, satisfait, au philosophique voyage autour de sa chambre et y découvre l’univers. 

Un soir, dans l’ivresse d’une passion sans cesse accrue, il lui déclara son intention formelle de l’épouser.

Elle le regarda, béante d’abord, et puis elle éclata de rire.

Epouser Géraldine, en justes noces, ah ! par exemple, c’était un comble ! Elle lui avait tout dit pourtant, tout avoué, sans réticence aucune. 

Le Niagara n’était qu’une cascade d’enfant en comparaison de ses cataractes ! 

Elle, la légitime d’un officier français plein d’avenir, qui serait un jour le général Torbier ! Du reste, le mariage était non seulement contre ses principes, mais au rebours de sa destinée terrestre. 

A chacun et chacune son sort et son métier et le paradis, à la fin, pour tout le monde ! Que diraient ces dames de Bordeaux et d’ailleurs ?

Il ne l’écoutait même pas.

— J’ai l’honneur de te demander ta main, réitéra-t-il, très calme. Je suis orphelin de père et de mère, libre de mes actes, et je t’aime. Pour le reste, j’ai mon épée.

Et la lutte dura huit jours, acharnée ; ils ne cédaient ni l’un ni l’autre. Géraldine, pour le sauver, alla jusqu’à recourir à la fuite. Il la rattrapa à la gare, la ramena et lui déclara qu’il lui laissait une heure pour décider de son consentement. 

C’était trop clair, le malheureux était atteint de démence amoureuse, celle que célèbrent les poètes, qui, eux-mêmes, sont des fous.

Je vous l’ai dit, elle était foncièrement honnête. Elle comprit que cet homme se perdait pour elle et que le suicide était au bout du drame. Elle s’avisa donc d’un expédient.

— Eh bien, soit, fit-elle, c’est entendu, on s’épousera. Mais nous n’avons pas le sou, ni toi ni moi, et jamais mise en ménage n’a plus nécessité la fortune. Le luxe est mon élément. Fais-toi riche, et je marche à l’autel.

— Bien, fut sa laconique réponse.

A quelque temps de là, la presse locale annonçait le mariage de M. Philibert Torbier, officier d’infanterie démissionnaire avec Mlle Claire de Mourcey, la charmante petite-fille du comte de Mourcey, le chef de l’aristocratie bordelaise et ancien ambassadeur.

Le lieutenant n’avait pas soufflé mot de cette affaire à sa maîtresse. Elle l’apprit par La Petite Gironde.

— Mes compliments mon cher, lui dit-elle en lui tendant le journal, c’est beaucoup mieux ainsi et de toutes manières. Voilà notre roman fini.

— En quoi ? releva-t-il.

— Comment, en quoi ? Et ta femme ?

— Eh bien ?

— Si tu l’épouses, c’est que tu l’aimes ?

Philibert secoua négativement la tête.

— Alors, c’est elle qui t’aime ?

— Oui, sourit-il, en l’étreignant pour l’embrasser.

Mais elle s’était soustraite d’un bond à l’étreinte.

— Minute, et pas de ça, Lisette ! Je ne suis qu’une pauvre fille perdue, mais je ne vole pas le bonheur des autres. Nous resterons bons amis, si tu veux, mais pour le reste, mon petit, fais-en ton deuil, c’est réglé. Foi de Géraldine, plus personne sous le baldaquin !

Et, cette fois, elle s’en alla tout à fait, pour de bon ». Il ne la retint pas, mais quand elle eut disparu au tournant de la rue, il s’effondra sur le lit, en sanglotant. Il l’avait vraiment dans les moelles.

La presse ne mentait pas : Mlle Claire de Mourcey était charmante. 

C’était une fine fleur de noblesse et le dernier bourgeon d’un bel arbre généalogique épuisé de sève et marqué par la grande bûcheronne. 

Elle avait vingt-deux automnes, car c’est au retour de la saison élégiaque qu’il sied de nombrer les années vécues par ces êtres fiévreux, à la voix brisée, que le poète Millevoye mène au mausolée sur les tapis d’or des feuilles mortes. 

A défaut de ses père et mère, l’un et l’autre disparus dès son enfance, elle avait été élevée par son grand-père, le vieux diplomate, qu’elle avait en adoration et qui, de son côté, idolâtrait sa chère petite malade. 

Que n’avait-il pas fait pour la guérir, que ne ferait-il pas encore ? 

Une partie de sa fortune avait été dépensée à la cure, le reste était à la disposition du sorcier qui lui conserverait son ange par un miracle. 

Hélas ! où était-il, ce sorcier qui n’avait qu’à venir et frapper le marteau de la porte ?

L’hôtel de Mourcey est voisin de la caserne où le régiment de Philibert Torbier campait alors, et l’une des distractions de la jeune fille était d’y suivre, de sa fenêtre, les manœuvres militaires qui l’emplissaient de sonneries, d’exercices et de mouvement. 

Elle avait, entre tous, remarqué le beau lieutenant, et peu à peu son cœur dolent s’était pris et rendu à l’attrait que dégage, comme un fluide, le véritable homme à femmes. 

Une nuit, le comte, qui la couvait jusque dans son sommeil, l’entendit crier en rêve :

— Ah ! pleurait-elle, mourir sans avoir été aimée ! C’est trop ! Aimée, aimée !..

Bouleversé par cet appel douloureux au bonheur, le grand-père l’épia et ne tarda pas à deviner son secret de vierge révoltée. Il alla droit à Philibert.

Le comte de Mourcey n’était pas de ceux qu’embarrasse une situation difficile, et, au cours de sa carrière politique, il en avait tranché d’insolubles.

— Tout en ce bas monde, le bien nommé, disait-il, n’est que question d’argent.

Telle était sa devise, et les renseignements qu’il eut sur le lieutenant Torbier étaient propres à la corroborer. 

Mais Claire l’aimait. C’était le sorcier demandé peut-être ? Par conséquent, rien sur la terre, dans les cieux ni l’enfer même, ne prévaudrait contre sa volonté de réaliser le rêve de sa moribonde. 

Claire serait aimée.

L’entretien, commencé dans un café situé près de la Bourse, où il se fit présenter officier, s’acheva le lendemain chez le notaire. 

La dot de Mlle de Mourcey, formée par l’héritage de ses père et mère décédés, se montait à quatre cent mille francs. Le grand-père y ajoutait un présent de noces de cent mille livres. 

Le tout, en cas de veuvage, restait au survivant du couple, y eût-il ou n’y eût-il pas d’enfants, en toute propriété, par contrat. 

En outre, il y avait les espérances, c’est-à-dire la fortune du comte. 

Elle devait, à sa mort, arrondir du million le portefeuille du ménage.

— Or, je vais avoir mes quatre-vingts ans, monsieur, dit-il à Philibert, avec un beau geste de talon rouge, vous n’aurez donc que peu de temps à attendre, j’espère.

C’était ce mariage que les journaux girondins publiaient, avec ou sans commentaires, dans la stupeur universelle. 

Il eut lieu cependant, mais il assembla peu de monde à l’église, et le vieux comte de Mourcey comprit à cette abstention respectueuse que, blâmé déjà de la mésalliance par le parti dont il était le chef, il n’y regagnait rien dans l’opinion populaire. 

Mais que lui importait, Claire était aimée avant de mourir.

Elle ne le fut que trois mois à peine ; l’automne suivant l’emporta dans le premier tourbillon des feuilles mortes. Puis ce fut le tour de l’octogénaire, que rien ne retenait plus en ce monde, et Philibert Torbier eut le million promis et gagné.

Géraldine, par l’un de ces coups de bascule qui sont la joie à la fois et la philosophie de son art, rayonnait aux plus hauts degrés de l’échelle sociale. 

Elle était grande usinière métallurgiste, et elle occupait aux alentours du Bois de Boulogne un hôtel, enfin digne d’elle, où douze larbins de haut style faisaient leur pelote. 

Un après-midi, l’un d’eux, huissier d’antichambre, lui présenta sur un plateau d’argent la carte d’un visiteur : Philibert Torbier.

— Comment ! Il ose ? Il en a un culot ! Jamais je n’y suis pour ce monsieur, vous entendez, jamais.

Mais il était déjà devant elle.

— C’est moi, je t’aime toujours, je suis riche, j’ai ta parole, viens, ma femme !

Et il tomba à ses pieds, balbutiant, à demi évanoui d’amour, comme l’exilé tombe sur le sol de la patrie rendue. Mais elle s’était jetée sur le timbre d’appel.

— Alors, tu fais les poitrinaires, toi ? cingla-t-elle.

Et s’adressant à deux laquais survenus :

— F.tez-moi cette crapule dehors.

Ils le ramassèrent le lendemain matin sur le paillasson de l’honnête créature, avec deux trous dans la tête.